Les autodidactes sont des menteurs.

Alors que nous pensons parfois apprendre seuls, l'intégralité de la communauté se cache en fait dans l'ombre pour pousser nos avancées pédagogiques.

Les autodidactes sont des menteurs.
Photo by Євгенія Височина / Unsplash

Le voilà, cet article en gestation depuis plusieurs mois, celui que je n'osais pas terminer. Pas besoin de se demander pourquoi, je le sais. C'est l'article de la fin, c'est le raisonnement qui m'a convaincu d'une sorte de fraude sur laquelle j'ai construit des croyances biaisées. C'est l'article qui démonte une illusion avec laquelle je vis, enfin je vivais, depuis quelques années. Cet article dit tout simplement que je ne suis pas un autodidacte, enfin que je ne le suis plus, ou peut-être même que je ne l'ai jamais été. Pas du tout de rancœur ici, c'est même assez chouette cette sensation, celle de se rendre compte que c'est la fin d'un chapitre et le début d'un autre. Allez, ne perdons pas plus de temps et entrons dans un raisonnement un peu plus constructif.

De mon point de vue, être autodidacte, c'était avoir une capacité à apprendre par soi-même, par ses propres moyens. En d'autres termes, c'est ne pas avoir de figure d'enseignement externe et pas d'aides des autres pour apprendre quoi que ce soit. C'est se sentir capable d'aller chercher l'information là où elle est, ou de la construire si on ne la trouve pas pour ensuite la critiquer, la comprendre et l'adapter à son besoin pédagogique. Pas de professeur, pas de mentor, nada, juste un soi et l'équipe nécessaire pour réussir à apprendre : une passion, une motivation et des ressources, tous travaillant en cacophonie pour atteindre des objectifs subjectifs.

Être autodidacte était un acte solitaire, à la limite d'une religion, c'était une compétition avec soi-même. L'apprenant que j'étais hier se base sur ses expériences d'aujourd'hui pour essayer d'être un peu meilleur demain. Le professeur et l'élève ne faisaient qu'un. Ils se parlaient, ils se jaugeaient, ils s'analysaient, ils se critiquaient, ils se félicitaient peu mais ils œuvraient tous les deux dans le sens d'une amélioration continue.

Mais ça, c’était le mythe, le “à peu près concept”. En réalité, être autodidacte n’est pas un interrupteur mais bien un gradient qui s’applique à une période de temps et/ou une expertise. On peut l’être un petit peu, beaucoup, passionnément ou à la folie. Nous pouvons avoir besoin de le devenir à un moment puis faire son chemin à un autre. Mais plus j’y réfléchissais plus il y avait quelque chose qui clochait…

Je sais, je radote mais il y aurait deux modes principaux d’apprentissage : l'apprentissage par expérience et l'apprentissage par pairs.

L’apprentissage par expérience consiste à produire des séries d’expériences vers un but défini qui se met constamment à jour. Le requis pour qu’une boucle d’apprentissage fonctionne est que le résultat de cette expérimentation doit être dit “observable” et observable surtout par soi. C’est à dire qu’on doit pouvoir voir, sentir, entendre, ou toucher le résultat de cette expérience, il doit être un objet sensoriel. À travers le temps, des itérations correctives, des modifications de cet objet seront réalisées pour le rapprocher au plus près d’une représentation mentale de cet objectif. On parle ici de l’ajustement d’une fausse note, d’un positionnement des épaules pour placer un triple salto axel flippé barillé centré, d’une poussée de poignet pour préciser un coup de pinceau sur un tableau ou même de l’ajout d’un caractère dans une ligne de code. Cette mécanique d'apprentissage par expérience est la façon la plus efficace d'ancrer un savoir-faire sur du long terme. Mais c'est aussi la plus lente : des décennies et des décennies d’enchaînement d’échecs, d’erreurs, de déceptions avec toujours trop peu de succès pour développer et perfectionner une expertise qui, de nos jours, pourrait déjà être obsolète le moment où elle est acquise.

C'est là que l'apprentissage par pairs interviendrait. Avec une fonction d’accélérateur, la vie en communauté a permis l’émergence d'un apprentissage dit “sociétal”. Je n'ai désormais plus besoin de partir de zéro : je m'appuie sur les expériences et les connaissances de mes pairs pour développer et accélérer mes expériences et par extension mes expertises que je pourrais, à mon tour, transmettre aux générations suivantes. Le concept est assez proche de la mécanique derrière la transmission génétique. On pourrait d’ailleurs parler de transmission didactique et imaginer la transmission de gènes de connaissance avec pour effet principal, l’évolution culturelle de l’espèce. Donc si l'apprentissage par l'expérience est au cœur d'une intelligence individuelle, l'apprentissage par pair est bien le moteur d'une intelligence collective, celle qui entraîne culture et technologie dans son sillon.

L'apprentissage par paire accélérerait les expériences de 4 façons : par mimétisme, la capacité à observer et imiter les mouvements des autres pour à son tour en expérimenter les sensations. Par transfert, la capacité à transmettre et recevoir du savoir par voie orale ou écrite pour guider de nouvelles expériences. Par reproduction, la capacité à lancer des expériences pour obtenir le même résultat qu'un autre. Et enfin, par inspiration. Bien que peut-être évidente pour certains, je dois avouer que cette 4e dimension est celle que j'avais omise pendant toutes ces années.

Comme expliqué plus haut, la finalité de tout apprentissage serait la génération sans fin de nouvelles expériences d'amélioration d'un objet sensoriel. Cet objet est donc observable par soi, certes, mais aussi par les autres. Si je suis assis à côté d'une personne qui joue de la guitare, je vais entendre les différents objets sensoriels qu'elle produit, faux ou justes. Que je le veuille ou non, ces fréquences sonores stimuleront mes réseaux de neurones et alimenteront, orienteront et enrichiront le super puissant calculateur qu'est notre cerveau. Chacun de ces objets que nous appelons un livre, un matériau, un code source, une sculpture, un dessin ou encore un immeuble, une chaussure, une bouteille, un roman, un clavier, du bitume, un écran etc. sont le résultat croisé des expériences passées et des visions du futur de ceux qui produisent ces objets. Cette mécanique est inconsciente, et on ne peut rien y faire. C'est illusoire de penser avoir une idée ou imaginer une nouvelle façon de faire car elle a forcément, à un moment hasardeux, été inspirée par ce que les autres ont fait. Et on ne peut pas y échapper. 99,9% de notre environnement est constitué de ces œuvres qui vont influencer, biaiser et guider nos futures expérimentations pédagogiques.

Alors oui, un autodidacte peut dire qu'il apprend par expérience car il travaille physiquement l'objet qu'il désire maîtriser, il peut dire qu'il n'apprend pas par mimétisme car il n'a pas de maître, il peut dire qu'il n'apprend pas par transfert car il ne lit pas ni ne regarde des "tuto" sur YouTube, il peut dire qu'il ne reproduit pas car il ne cherche pas à recopier, mais peut-il dire qu'il ne s'inspire pas des créations des autres ?

En fait, l'autodidaxie, la vraie, la pure, la dure, n'existe plus depuis bien longtemps, ce que nous vivons à chaque instant de notre vie pédagogique ne serait en fait qu'une forme plus ou moins grave de sociodidaxie, et c'est bien toute la richesse de l'apprentissage : apprendre avec, par et à travers les autres.

Gd.